L’Espagne sans nouveau budget depuis trois ans
À Alicante, rien ne laisse deviner la tempête budgétaire qui secoue Madrid. Les terrasses de la vieille ville sont pleines, les travaux de voirie continuent, les pensions tombent à la fin du mois et les touristes déambulent entre l’esplanade et le château de Santa Bárbara. Pourtant, au sommet de l’État, l’Espagne vit avec les mêmes comptes depuis trois ans. Le budget général approuvé pour l’année deux mille vingt-trois a été prolongé en deux mille vingt-quatre, puis à nouveau en deux mille vingt-cinq, faute d’accord politique sur de nouvelles finances.
Pour un Français ou un Belge installé sur la Costa Blanca, l’idée a de quoi surprendre. Chez eux, le budget est le feuilleton politique de l’automne, avec débats enflammés, nuits blanches au Parlement et menaces de chute de gouvernement. Comment l’Espagne peut-elle, elle, fonctionner en mode « copier-coller » budgétaire sans donner l’impression de s’effondrer
Comment l’Espagne fonctionne sans nouveau budget
La réponse se trouve dans la Constitution espagnole. Elle prévoit que si la loi de finances n’est pas adoptée à temps, le budget de l’année précédente est automatiquement prolongé jusqu’à l’approbation de nouveaux comptes. Les impôts continuent d’être perçus, les salaires des fonctionnaires et les retraites sont versés, les services publics restent ouverts. Les ministères disposent de leurs enveloppes habituelles, ajustées à la marge par des décrets et des crédits extraordinaires.
À court terme, ce système rassure. Pas de fermeture d’écoles, pas d’hôpitaux à l’arrêt, pas de crise institutionnelle spectaculaire. Pour les habitants d’Alicante, l’effet le plus visible est… l’absence d’effet visible. La vie continue.
Mais cette stabilité apparente a un coût. Un budget reconduit empêche de véritablement adapter la dépense publique à la conjoncture. Difficile de lancer des programmes ambitieux dans la transition énergétique, le logement ou la dépendance. Certains investissements prennent du retard, l’utilisation d’une partie des fonds européens devient plus complexe et la trajectoire de déficit se pilote moins finement. L’Espagne ne coule pas, mais elle avance avec un frein à main partiellement serré.
La France, le budget comme champ de bataille politique
En France, la situation est presque inversée. Le pays adopte, bon an mal an, de nouvelles lois de finances, mais au prix d’affrontements politiques à répétition. Les dépenses publiques y sont parmi les plus élevées d’Europe, le déficit reste important, et chaque budget se transforme en test de survie pour le gouvernement.
Ces dernières années, plusieurs premiers ministres ont dû engager leur responsabilité ou recourir à des procédures exceptionnelles pour faire passer le budget. Motions de censure, vote de confiance, débats enflammés sur la dette et les impôts font partie du décor. En cas de blocage durable, des textes provisoires peuvent assurer la continuité de l’État, mais l’idée de rester plusieurs années avec des comptes reconduits, comme en Espagne, serait vécue comme un aveu d’impuissance totale.
Autrement dit, la France accepte le conflit pour obtenir un budget neuf, là où l’Espagne accepte l’absence de budget neuf pour éviter le conflit permanent. Deux cultures politiques très différentes face au même impératif : financer l’État.
La Belgique, championne de l’intérim institutionnel
La Belgique, souvent citée pour ses records de durée sans gouvernement, connaît une autre version de la même histoire. Quand les coalitions mettent des mois à se former, le pays fonctionne grâce aux fameux « douzièmes provisoires ». L’État est alors financé mois par mois sur la base du budget précédent, avec des limites strictes et quelques exceptions jugées indispensables.
En deux mille vingt-cinq, le gouvernement fédéral a mis de longs mois à conclure un accord budgétaire, sur fond de tensions entre partis flamands et francophones. À l’approche de deux mille vingt-six, il a encore fallu recourir à un mécanisme de financement temporaire pour démarrer l’année, le temps de boucler un compromis. La Belgique ne reste donc pas plusieurs années avec le même budget, mais elle multiplie les périodes d’attente et de bricolage institutionnel, entre intérims et accords tardifs.
Trois modèles, une même question
Si l’on met côte à côte ces trois pays, une même interrogation apparaît : qui pilote vraiment la trajectoire financière
En Espagne, l’absence de nouveau budget depuis plusieurs années donne une impression de calme, mais révèle la difficulté à construire des majorités stables autour d’un projet de finances publiques. L’État continue de tourner, mais la réforme fiscale, la réorientation de la dépense et les grands plans d’investissement sont freinés.
En France, le débat est bruyant, parfois épuisant, mais il aboutit à de nouvelles lois de finances, dont la crédibilité est ensuite scrutée par les partenaires européens et les marchés. La question n’est pas tant « y a-t-il un budget » que « ce budget permet-il vraiment de réduire le déficit tout en finançant les priorités sociales ».
En Belgique, enfin, la complexité institutionnelle impose des compromis laborieux. Les mécanismes provisoires évitent le blocage brutal, mais ils entretiennent un climat d’incertitude qui pèse sur les services publics, les investissements et la confiance des citoyens.
Ce que cela change pour les francophones de la Costa Blanca
Pour les lecteurs de TopInfoAlicante qui vivent à Alicante ou y passent une partie de l’année, ces subtilités peuvent sembler lointaines. Ce qui compte au quotidien, ce sont la qualité des services publics, le niveau des impôts, la stabilité des pensions, le financement des infrastructures.
Avec un budget prolongé, l’Espagne assure la continuité de base, mais dispose de moins de marge pour améliorer rapidement ces politiques ou réagir à une crise. À moyen terme, la question est de savoir si ce « mode reconduit » est soutenable, dans un contexte de vieillissement de la population, de transition écologique et de nouvelles règles européennes sur les déficits.
Vu de France ou de Belgique, l’Espagne n’est donc pas un pays qui se passe de budget sans conséquence, mais un État qui s’appuie au maximum sur un mécanisme de prolongation pour compenser une fragmentation politique durable. Là où Paris et Bruxelles dramatisent chaque loi de finances, Madrid a, pour l’instant, normalisé l’idée d’une gestion sous budget reconduit.
Pour les Européens qui ont choisi de vivre à Alicante, comprendre cette toile de fond permet de mieux lire l’actualité espagnole : lorsque les grandes réformes semblent ne jamais arriver, ce n’est pas que le pays ne fait rien, c’est souvent qu’il gère au jour le jour avec des comptes hérités d’hier.



