Piétonniser le cœur d’Alicante

Piétonniser le cœur d’Alicante

Piétonniser le cœur d’Alicante 

Bonne ou mauvaise idée !

En se promenant sur l’esplanade d’Espagne à la tombée du jour, difficile d’imaginer qu’Alicante est aujourd’hui au milieu d’un débat brûlant sur la place de la voiture. La ville s’est engagée dans un vaste mouvement de transformation de son centre historique, avec un mot clé qui fait rêver certains et grincer des dents d’autres : la piétonnisation. La future fermeture au trafic de la Plaza del Ayuntamiento et de plusieurs rues voisines s’inscrit dans cette logique. Mais cette métamorphose rendra-t-elle la ville plus agréable à vivre ou plus compliquée au quotidien ?

 

Depuis quelques années, la municipalité avance par étapes. D’abord des essais temporaires, certains week-ends ou en soirée, où la circulation est coupée autour de la mairie et dans quelques rues du centre traditionnel. Puis des travaux de réaménagement, des trottoirs élargis, des zones de circulation apaisée, l’introduction de la zone à faibles émissions qui limite les véhicules les plus polluants. Petit à petit, le cœur d’Alicante est en train de passer du tout-voiture à un modèle où piétons, vélos et transports publics doivent jouer un rôle central.

 

L’annonce d’une piétonnisation définitive de la Plaza del Ayuntamiento à l’horizon deux mille vingt-six est devenue un symbole. Pour les défenseurs de la mobilité durable, c’est une victoire attendue de longue date. Ils rappellent que, pendant les mois où la place a été fermée au trafic pour des raisons de sécurité, l’ambiance a changé du tout au tout : moins de bruit, moins de gaz d’échappement, davantage de familles, de terrasses, de visiteurs flânant sans regarder en permanence derrière eux. Selon eux, ce test grandeur nature a prouvé qu’un centre sans voitures n’est pas une utopie, mais une option réaliste pour une ville touristique comme Alicante.

 

Du côté des commerçants, le discours est plus nuancé. Certains, notamment ceux qui travaillent dans la restauration et les services touristiques, voient dans cette piétonnisation une opportunité formidable. Ils imaginent des rues animées, des terrasses plus grandes, des événements culturels en plein air, une image de ville méditerranéenne moderne et conviviale, parfaitement alignée avec l’objectif d’un tourisme durable. D’autres, en particulier les commerces de proximité et les boutiques qui vivent de la clientèle locale, sont plus inquiets. Ils redoutent que l’accès en voiture devienne trop compliqué, que les livraisons soient plus lentes, que certains clients, surtout plus âgés, renoncent à venir au centre.

 

Les habitants, eux, se divisent souvent en fonction de leur quotidien. Ceux qui vivent dans le centre historique et se déplacent surtout à pied ou en transport public voient d’un très bon œil la réduction du trafic. Ils soulignent l’amélioration de la qualité de l’air, le bruit moindre, la possibilité de laisser les enfants jouer plus librement sur les places. En revanche, ceux qui résident dans des quartiers périphériques et dépendent encore de leur voiture pour travailler ou pour accompagner leurs proches à l’école ou à l’hôpital craignent que le trajet se complique, avec davantage de détours et de temps perdu dans les bouchons.

 

Dans ce contexte, la zone à faibles émissions joue un rôle central. Elle ne se limite pas à interdire certains véhicules dans un périmètre précis. Elle s’accompagne d’une refonte plus large de la circulation : création de parcours piétons continus entre le marché central, la Rambla et l’esplanade, apaisement de certains axes, priorité donnée aux bus et, progressivement, aux vélos et trottinettes. L’idée est de proposer une alternative crédible à la voiture individuelle plutôt que de se contenter de la restreindre. Mais, sur le terrain, beaucoup d’Alicantins ont encore l’impression que les changements peuvent être confus et que les règles évoluent sans toujours être clairement expliquées.

 

Les associations de mobilité douce insistent sur un point : piétonniser ne signifie pas fermer le centre à tout le monde. Dans la plupart des projets, les résidents, les services d’urgence, les personnes à mobilité réduite et les livraisons conservent un accès contrôlé. L’objectif n’est pas de transformer le cœur de la ville en parc à thème, mais de donner la priorité à ceux qui s’y déplacent à pied, en particulier les enfants, les personnes âgées et les touristes qui découvrent Alicante pour la première fois. Elles rappellent aussi que les villes qui ont misé sur la piétonnisation depuis plusieurs années ont souvent vu leur commerce se renforcer à moyen terme, grâce à une fréquentation plus régulière et à un centre plus attractif.

 

Face à elles, certains collectifs d’automobilistes et de professionnels du transport dénoncent une « guerre à la voiture » qu’ils jugent déconnectée de la réalité quotidienne. Pour un artisan qui doit traverser la ville avec son matériel, un soignant à domicile ou un livreur, chaque rue fermée, chaque accès restreint signifie parfois un trajet plus long, plus coûteux, plus stressant. Ces secteurs réclament donc une planification plus fine, des horaires adaptés pour les livraisons, des itinéraires clairs pour les véhicules autorisés et, surtout, une information transparente pour éviter la sensation de chaos que certains ressentent aujourd’hui.

 

Pour les touristes et les nouveaux résidents étrangers, la transformation du centre est plutôt perçue comme un plus. Beaucoup comparent Alicante à d’autres villes européennes qui ont déjà fait le choix d’un centre largement piéton. Ils apprécient de pouvoir se déplacer à pied entre le port, la mairie, le quartier de Santa Cruz, le marché central et les principales rues commerçantes sans être en permanence coupés par un flot de voitures. Dans une stratégie de tourisme durable où l’on cherche à prolonger les séjours, à répartir les visiteurs sur toute l’année et à améliorer leur expérience, un centre-ville plus calme et plus sûr apparaît comme un argument très convaincant.

 

Au fond, la question « vers une ville plus agréable ou plus compliquée ? » se joue sur la manière dont la transition sera gérée. Si la piétonnisation s’accompagne d’un bon réseau de bus, de parkings dissuasifs en périphérie, de pistes cyclables continues, de solutions pour les livraisons et de zones de stationnement adaptées aux résidents, alors le centre peut devenir plus vivant, plus respirable, plus harmonieux. Si, au contraire, les restrictions arrivent avant les alternatives, si la communication reste floue et si l’on donne l’impression que tout est décidé sans dialogue, la frustration risque d’emporter le débat.

 

Pour Alicante, l’enjeu dépasse la simple question de quelques rues fermées à la circulation. Il s’agit de redessiner le cœur de la ville pour les vingt prochaines années, dans un contexte de changement climatique, de pression touristique et de recherche de qualité de vie. Une ville qui choisit de rendre son centre aux piétons affirme un modèle : celui d’un espace public où l’on se rencontre, où l’on consomme différemment, où l’on habite et où l’on travaille sans être constamment dominé par le bruit et l’odeur des moteurs.

 

La réponse définitive n’est pas encore écrite. Les travaux de réaménagement, les premières fermetures totales au trafic et le retour d’expérience des habitants diront si la piétonnisation du cœur d’Alicante devient un exemple de réussite méditerranéenne ou un casse-tête quotidien. Une chose est sûre : le débat ne laisse personne indifférent et, pour celles et ceux qui aiment cette ville, c’est l’occasion de réfléchir à la manière dont ils souhaitent la voir évoluer. Plus agréable, plus durable, peut-être un peu plus lente, mais toujours accueillante.

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