Espagne : la nouvelle locomotive économique de l’Europe
En plein ralentissement économique du continent, l’Espagne tire son épingle du jeu. Alors que l’Allemagne s’essouffle et que la France peine à dépasser la stagnation, l’économie espagnole affiche une santé insolente. Avec une croissance de 2,5 % en 2023 et des prévisions encore solides pour 2024, Madrid s’impose comme la surprise économique de l’Union européenne. Une performance qui s’explique par un faisceau de réformes, une diversification progressive et une capacité de rebond remarquable face aux chocs récents.
Une croissance robuste dans une Europe affaiblie
L’Union européenne traverse une période morose. La croissance de la zone euro a été inférieure à 1 % en 2023. L’Allemagne, longtemps considérée comme le moteur du continent, a vu son économie se contracter. La France, quant à elle, affiche une croissance molle, plombée par une consommation atone et une production industrielle hésitante.
Face à ce marasme, l’Espagne détonne. Son produit intérieur brut a progressé de plus de 2 % en 2023 et pourrait atteindre un niveau équivalent en 2024 selon les projections de la Commission européenne. Elle représente désormais près de 40 % de la croissance totale de la zone euro. Cette performance n’est pas un simple rattrapage post-pandémie, mais le fruit d’une dynamique plus structurelle.
Le rebond du tourisme, pilier stratégique
Le tourisme, traditionnel point fort de l’économie espagnole, a retrouvé son rôle moteur. En 2023, l’Espagne a accueilli plus de 85 millions de visiteurs internationaux, dépassant même les chiffres d’avant crise sanitaire. Ce secteur pèse près de 12 % du PIB espagnol. La réouverture des frontières, la relance de la mobilité aérienne et la sécurité perçue du pays ont renforcé son attractivité, au détriment de certaines destinations concurrentes comme la Turquie ou l’Égypte.
Mais la nouveauté, c’est la montée en gamme de l’offre. L’Espagne a su investir dans un tourisme plus durable, plus diversifié et à plus forte valeur ajoutée. L’hôtellerie haut de gamme, les infrastructures culturelles et les grands événements attirent un public international plus fortuné, stimulant les recettes fiscales et l’emploi.
Une transition énergétique en accéléré
L’autre pilier du dynamisme espagnol réside dans la transition énergétique. Le pays s’est engagé de manière ambitieuse sur le chemin des énergies renouvelables. Déjà en 2023, plus de 50 % de l’électricité produite en Espagne provenait de sources vertes, principalement éoliennes et solaires. Le gouvernement vise les 80 % d’ici 2030.
Ce virage crée un écosystème économique nouveau, entre investissements publics, implantations industrielles et innovation technologique. Des entreprises comme Iberdrola, Acciona ou Naturgy s’imposent comme des champions européens de la transition. L’Espagne attire également des investisseurs étrangers séduits par son potentiel en matière de production d’hydrogène vert et de stockage énergétique.
Un marché du travail en mutation
L’un des défis historiques de l’Espagne reste le chômage, qui demeure supérieur à 10 %. Pourtant, là aussi, les lignes bougent. Le marché du travail est en transformation. Le gouvernement Sánchez a engagé une série de réformes pour favoriser les contrats stables, en luttant contre la précarité chronique du modèle espagnol.
Les créations d’emplois se concentrent dans des secteurs porteurs : la tech, la construction durable, la santé, les services à la personne. En parallèle, une immigration choisie permet de répondre à des besoins sectoriels spécifiques. Cette dynamique contribue à la hausse de la consommation intérieure, soutenant la croissance.
Un tissu industriel résilient et des exportations compétitives
Longtemps perçue comme dépendante du tourisme et de la construction, l’économie espagnole s’est discrètement diversifiée. Son industrie automobile, portée par les usines de Seat, Renault, Stellantis ou Mercedes, se modernise avec des investissements massifs dans l’électrification.
Les exportations espagnoles ont progressé de 13 % entre 2022 et 2023, avec une forte demande venue d’Amérique latine et d’Afrique du Nord. Les biens agricoles, les produits pharmaceutiques et les biens intermédiaires fabriqués en Espagne sont de plus en plus recherchés.
L’Espagne profite aussi de son positionnement stratégique comme hub logistique entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique du Sud. Le port de Valence, l’un des plus dynamiques de Méditerranée, en est le symbole.
La stabilité politique et la gestion des fonds européens
L’un des facteurs souvent sous-estimés du succès espagnol tient à sa stabilité politique relative. Malgré une coalition parfois houleuse entre socialistes et formations de gauche, le gouvernement a su maintenir une ligne économique claire, soutenue par une administration efficace.
L’Espagne est aussi l’un des pays qui a le mieux utilisé les fonds du plan de relance européen Next Generation EU. Sur les 140 milliards d’euros alloués, une majorité a déjà été engagée dans des projets concrets : infrastructures numériques, rénovation énergétique des bâtiments, soutien à l’innovation.
Des fragilités persistantes
Ce tableau ne doit pas masquer certaines faiblesses. La productivité du travail reste inférieure à la moyenne européenne. Le tissu entrepreneurial est dominé par des petites entreprises peu capitalisées. L’investissement en recherche et développement, bien que croissant, reste limité.
Par ailleurs, la dette publique dépasse les 110 % du PIB. Bien que contenue par la croissance, elle constitue une vulnérabilité si les taux d’intérêt remontent fortement. Enfin, les déséquilibres régionaux, notamment entre le nord industriel et le sud plus rural, créent des tensions politiques et sociales.
Une inspiration pour l’Europe
L’Espagne n’est pas devenue un eldorado économique, mais elle montre qu’il est possible, au sein de l’Union européenne, de réussir une sortie de crise par une stratégie articulée entre relance, réforme et investissement. Elle incarne un modèle de croissance résiliente, verte, ouverte et inclusive.
Dans un moment où l’Europe cherche un nouveau souffle, son parcours est riche d’enseignements. À condition de ne pas s’endormir sur ses lauriers.
